L’IA transforme les modèles économiques, et c’est un enjeu de premier plan

Cela fait plus de 10 ans que je parle d’IA aux entreprises, et j’ai beaucoup écouté, observé, analysé, ce que ces entreprises pensent et comprennent de l’IA. Une représentation émerge clairement : l’IA c’est pour gagner des points de marge. En somme, on automatise certains gestes métiers, augmentant la productivité.

C’est indéniable, l’IA permet d’augmenter la productivité. Mais on passe à côté de l’essentiel, et cet essentiel commence déjà à ré-organiser le marché.

L’IA réduite à la performance et au remplacement : une erreur

Quand l’IA vient automatiser un geste, le geste change (ce n’est pas optimal ou possible, la plupart du temps, de chercher à reproduire à l’identique le geste manuel). Et donc la nature de la chaîne de valeur se transforme, ouvrant de nouvelles possibilités : nouvelles fonctionnalités pour le client, nouvelle organisation interne, révision du modèle de prix ou du prix lui-même, etc. Dans certains cas, l’IA vient même accomplir des gestes très éloignés de ce qui se passe actuellement, voir effectuer des gestes nouveaux. Ou encore, effectuer des gestes similaires mais d’une bien meilleure qualité.

Cette différence fondamentale ouvre la voie à de nouveaux modèles économiques, capables de déstabiliser la concurrence. Au-delà de l'automatisation, l'IA redéfinit les règles du jeu, créant des opportunités pour ceux qui savent les saisir.

Quelles sont les innovations qui changent le modèle économique ?

Les innovations ne sont pas complètement imprédictibles.

On parle ici d’innovations de rupture, ou de “disruption”, parce qu’elles transforment radicalement les modèles économiques existants. Selon la classification de Christensen (connu pour avoir amené le terme disruption justement), on distingue deux types de disruption : la “low-end”, où l’innovation permet de proposer des alternatives en début de gamme (moins cher, plus simple), et la “new-market”, qui permet d’atteindre de nouveaux segments de marché, jusqu'ici négligés.

L'IA est un levier puissant de disruption dans ces deux catégories.

L’IA comme disruption Low-End : la relation client

Un bon exemple de disruption low-end serait l’automatisation des services clients via des chatbots basiques. Ces IA ne remplacent pas les agents humains capables de gérer des interactions complexes, mais répondent efficacement aux demandes simples et répétitives, comme le suivi de commande ou la réinitialisation de mot de passe. Ces systèmes, bien qu’imparfaits et limités, sont 'suffisamment bons' pour des tâches de faible valeur ajoutée, permettant aux entreprises de réduire leurs coûts tout en offrant un service à faible prix.

Cet usage illustre parfaitement la disruption low-end : il ne concurrence pas les services clients premium, mais répond à un besoin insatisfait pour des demandes basiques avec une solution moins coûteuse et plus accessible.

Au fil du temps, ces chatbots évoluent et montent en gamme, finissant par rivaliser avec des solutions plus avancées. Et c’est là le point clé de la disruption low-end par l’IA : les solutions qui paraissent peu prometteuses parce que peu qualitatives, sont en réalité les prémices de solutions milieu de gamme, puis haut de gamme, concurrençant à moindre prix chaque gamme.

L’IA comme disruption New-Market : la certification

Traditionnellement, obtenir des certifications (comme des certifications professionnelles, des licences d'exploitation, ou des certifications de conformité dans l'industrie) est un processus lourd qui nécessite la collecte manuelle de documents, des audits par des humains, et de nombreuses interactions avec des organismes de régulation.

L'IA crée un nouveau marché en permettant aux entreprises et aux individus d'automatiser proactivement la gestion de ces processus de certification. Une IA spécialisée dans la certification de conformité industrielle peut analyser en temps réel des données provenant d'une usine ou d'une entreprise (comme des rapports de production, des mesures environnementales, etc.), vérifier si les normes sont respectées, et automatiquement générer les rapports de certification nécessaires. Mieux encore, elle peut anticiper les périodes où des certificats devront être renouvelés et proposer des actions correctives en cas de non-conformité avant qu'un audit humain ne soit requis.

Cet usage est complètement nouveau : au lieu de gérer ces certifications de manière réactive et humaine, avec des processus longs et souvent coûteux, l’IA permet une gestion automatisée, continue, et proactive, mettant l’accent sur les bénéfices apportés plutôt que sur la contrainte légale.

Une transformation à plusieurs visages

La plupart des innovations sont à la fois New-Market et Low-End : la relation client elle aussi trouve son lot de nouvelles possibilités par l’IA, et la certification bénéficie de l’apparition de nouvelles plus simples et moins coûteuses par l’IA.

En réalité, la plupart des solutions IA combineront réduction des coûts et augmentation de la qualité, mais dans des proportions variables. Cela met les acteurs historiques en difficulté, car ils doivent s’adapter rapidement ou risquer de disparaître.

L’écosystème évolue également. Le marché s’habitue aux nouveaux standards, sans retour en arrière possible.

Autre effet sur l’écosystème dans le domaine de la certification par exemple, l’injonction légale se renforce : plus la technologie permet une conformité stricte, plus le législateur peut exiger des entreprises.

On dit souvent que la technologie doit être pensée pour l’usage et non l’inverse. C’est vrai. Mais pour autant, il faut se rappeler que les possibilités techniques offertes par l'IA transforment profondément les attentes des marchés et des écosystèmes. Si l’expansion du modèle de vente par abonnement est l’une des transformations les plus visibles, l’impact le plus profond de l’IA réside dans la reconfiguration des chaînes de valeur, et ce à la lumière d’un monde où les dernières technologies ont redéfini drastiquement l’univers des possibles et le coût de ce qui nous est familier.

Dans un monde où les technologies ouvrent exponentiellement l’univers des possibles, les acteurs économiques doivent repenser leurs modèles pour rester compétitifs. Ceux qui sauront s’adapter aux nouvelles dynamiques imposées par l’IA en ressortiront renforcés ; pour les autres, le risque est réel.

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